lundi 20 août 2012


Ira Sachs : «En France, quand un acteur se dénude, ça ne choque personne» ...


INTERVIEW. «Keep the Lights On», le dernier film du réalisateur new-yorkais, sort en salles mercredi. Il est directement inspiré de l'histoire d’amour passionnée et destructrice qu'a vécue Ira Sachs avec son ex-compagnon.
Son excellent Forty Shades of Blue, ou la liaison entre la nouvelle femme d'une légende du rock et le fils de celui-ci, était resté quasiment invisible en France. Activiste connu et reconnu à New York, cinéaste et vidéaste, Ira Sachs revient ici avec un quatrième film, Keep the Lights On. Une chronique directement inspirée par une histoire d’amour tourmentée qu’il a partagé avec un jeune étudiant. Le film, qui a gagné le Teddy Award du meilleur long-métrage au dernier festival de Berlin et qui a aussi remporté le Grand Prix au festival Outfest de Los Angeles en juillet dernier, sort en France ce mercredi.

TÊTU.com: Pourquoi avoir décidé de faire une oeuvre cinématographique de votre histoire? Vous auriez pu préférer écrire un livre ou tourner un documentaire?
Ira Sachs (photo ci-contre): Un film, c’est que je connais le mieux. J’ai toujours basé mes films sur des expériences propres, même si là, la source de l’histoire est on ne peut plus intime. J’ai découvert un film français,Avant que j’oublie, de Jacques Nolot, peu après la fin de mon histoire. Il m’a énormément influencé. Je me suis dit que je n’avais pas vu de film sur le parcours amoureux d’un homme gay new-yorkais dans un environnement intellectuel. Nolot a été d’une liberté et d’une ouverture d’esprit troublante avec son long-métrage. J’ai donc eu envie de m’en inspirer car le jour où ma relation s’est terminée, j’ai vraiment eu la sensation qu’une énorme page de ma vie se tournait et qu’il fallait que je raconte cette histoire, sans rien cacher. Celle de deux hommes, depuis le milieu des années 90 jusqu'au milieu des années 2000.

Quand on s’attaque à un sujet si personnel, n’est-on pas noyé par la masse de souvenirs, par leur poids? Comment dégager un scénario qui soit proche de vous, tout en interpellant aussi le public?
C’est très juste. Pendant quatre ans, j’ai établi une sorte de chronologie, mais c’était un canevas informe. Ce n’était en tout cas pas une histoire. J’ai tout laissé reposer pendant 18 mois. J’ai ensuite contacté Mauricio Zacharias, qui m’a aidé à sculpter une vraie charpente à cette histoire.

Ce type d’histoire est difficile à monter aujourd’hui au cinéma. Et une fois terminée, c’est encore plus difficile de la sortir en salles. Comment avez-vous fait pour donner à Keep the Lights On un tel écho?
Avec mon association, Queer art film, je suis une figure du monde gay new-yorkais. J’ai demandé de l’aide à tous ceux avec  qui je travaille régulièrement dans la communauté artistique. Le bar ou nous avons tourné est celui que je fréquente, les costumes ont été prêtés par des couturiers amis. J’ai eu la chance d’avoir comme directeur photo Thimios Bakatakis (Canine, Attenberg), une pointure actuelle du cinéma indé. Près de 400 personnes ont participé de près ou de loin à son financement. Ce film n’est pas conventionnel. Il n’était pas question de le produire dans les règles actuelles. Aujourd’hui, il va sortir en salles dans quinze pays et fait le tour du monde des festivals. Je pense qu’il y a un public qui a faim de ce type d’histoire. J’espère qu’il aura du succès et que cela décomplexera d’autres cinéastes.

Thure Lindhardt et Zachary Booth jouent respectivement votre rôle et celui de votre ex-amant. Les trouver, puis les faire tourner, a dû être un drôle de voyage pour vous?
Ils ont porté le film à un tel niveau. Ils se sont mis à nu! Et pas seulement physiquement. Si le film touche autant, c’est grâce à eux. J’ai envoyé le scénario à une grosse agence de comédiens à Hollywood, qui représente quelques 250 acteurs. Aucun d’entre eux n’était disponible! Si j’ai choisi un Danois pour mon rôle, c’est que les américains sont si puritains... Il est presque impossible de bousculer un comédien new-yorkais ou d’aborder la question de la nudité. En France, un acteur qui se met nu, cela ne choque personne, tout le monde s’en fout.

Mais Zachary Booth est américain, il a joué dans des séries connues comme Damages, c’est plus étonnant de le voir là?
Il a lu très tôt le scénario et a compris qu’il avait là de quoi créer un personnage complexe et riche. Pour lui, c’était autant un risque qu’une fantastique opportunité pour montrer ce qu’il avait dans le ventre.

L’alchimie entre Thure et Zachary est palpable. Comment l’avez-vous travaillée?
Quand on fait un casting, on doit aussi imaginer comment les acteurs vont à un moment fusionner. Et je l’ai de suite deviné avec ces deux-là. Je n’ai pas voulu répéter avec eux, mais j’ai passé beaucoup de temps seul avec chacun d’entre eux. Et je me suis laissé envahir par leurs questions. Maurice Pialat est le réalisateur qui m’a le plus influencé. J’ai montré à mes deux acteurs A nos amours et L’enfance nue, pour qu’ils s’imprègnent du jeu des comédiens.

Le film voyage désormais dans le monde entier. Qu’est-ce qui vous surprend le plus dans l’accueil qu’il reçoit? Car il s’agit d’un pan intime de votre vie que vous livrez au public…
Les gays se retrouvent dans la description des beautés et des tourments de la vie à deux. Et les hétéros ne s’en sentent pas si éloignés non plus. Il n’y a rien de plus réjouissant pour un cinéaste que d’entendre des spectateurs lui dire qu’ils se reconnaissent dans ce qu’ils ont vu.

Comment votre ancien amant a-t-il réagi au film?
Comment répondre à cela (rires)? Il a de suite soutenu le projet. Je pense qu’en prenant un acteur danois qui ne me ressemble pas du tout, il y a vu une œuvre de fiction. Et pas des mémoires…

Vous avez un autre film en préparation?
Oui, je prépare un nouveau film avec Mauricio Zacharias, appelé Love is strange. L’histoire de deux hommes qui ont été ensemble pendant trente ans. L’un des deux travaille comme professeur de chant dans un lycée religieux pour garçons. Le jour où ils décident de se marier, il est exclu de son école… C’est un film libératoire pour moi. A 16 ans j’ai fait mon coming out, mais je me suis beaucoup caché après. Dans ma génération, on a grandi entre Stonewall et les premières gay pride, mais cela ne nous a pas empêché d’avoir souvent honte, d’être ostracisé. Dans Keep the Lights On, comme dans Love is strange, je parle de transparence. J’ai la force et l’envie d’assumer aujourd’hui ce que je suis au grand jour.
Regardez la bande-annonce de Keep the Lights On:


Fuck me !








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